Par: Caroline Leblanc
Je détestais téléphoner. Je craignais de bégayer, de ne pas me présenter correctement. J’appréhendais que mon interlocuteur ne soit pas disponible. Je redoutais de devoir laisser un message à un autre correspondant ou à un répondeur. Pire, de devoir rappeler. Je détestais les téléphones qui sonnent. Est-ce que décrocher avec un « allô » suffisait? Que fallait-il répondre? Qui serait la personne au bout du fil? Se présenterait-elle ou serais-je contrainte de deviner qui était en ligne? Réussirais-je à m’exprimer sans bredouiller? Les téléphones portables n’ont pas remédié à mon trac. À l’exception de quelques proches, je trouvais un motif pour éviter d’appeler, pour privilégier l’envoi d’un courriel, d’un texto ou d’une lettre.
Fin janvier, je devais réaliser des entretiens téléphoniques pour une association pour laquelle je suis bénévole. Cette organisation accompagne des lycéennes et des étudiantes dans le choix de leur orientation professionnelle. Ma mission consistait à vérifier les dossiers d’inscription des candidates, à confirmer qu’elles avaient compris en quoi consisterait le programme de coaching et à identifier leurs motivations. Les salariées de l’association priorisaient ensuite les candidates selon le nombre de places disponibles.
Face à cette liste d’une dizaine de noms et le tableau Excel à renseigner, j’ai eu un moment de recul. Je m’étais portée volontaire pour passer des appels téléphoniques. J’avais reçu un courriel de l’association, je m’étais inscrite, j’avais participé à une réunion d’information. Mais je déteste appeler des inconnus. Quelle idiote! J’allais me ridiculiser. Ces appels seraient une lente torture. Était-il encore temps de prétexter quelque chose, de me désengager?
J’ai consacré plusieurs heures à interviewer les candidates depuis ma cuisine. Elles ont toutes un téléphone portable et il leur manque parfois des ordinateurs. Malgré la prévalence de la communication par texto ou via les réseaux sociaux, elles semblaient à l’aise. Je ne voyais pas leurs sourires et leurs espoirs, mais je les entendais. Elles ont partagé avec moi un peu de leurs rêves et de leurs ambitions. Certaines avancent dans leurs études, d’autres sont déscolarisées et sans activité professionnelle. J’ai discerné l’impact de la crise. Des décrochages au dernier trimestre de l’année scolaire, des rentrées difficiles en septembre ou des abandons. Une fêtait son anniversaire le lendemain, une autre se préparait à passer le permis de conduire, deux arrivaient en France après des scolarités à l’étranger. Ma gorge s’est nouée quand une lycéenne m’a confiée son souhait de rendre fière sa mère qui n’avait pas pu faire d’études dans son pays d’origine. Une candidate a affirmé « je ne veux pas qu’on choisisse à ma place ».
« Que diriez-vous aujourd’hui à celle que vous étiez à 15 ans? » suggèrent les coachs de l’association pour préparer les bénévoles aux discussions avec les bénéficiaires de leur programme d’orientation professionnelle. La perspective d’appeler des lycéennes et des étudiantes avait ravivé mes souvenirs de celle que j’étais. Et à 15 ans, je détestais téléphoner. Mais cette lycéenne appartient au passé. J’ai changé. Je n’ai plus peur du téléphone. Mes jobs successifs m’ont imposée des centaines d’appels, souvent à des inconnus, parfois inconfortables. Peu à peu, j’ai progressé et gagné en confiance. Mon orientation professionnelle demeure un peu floue, mais téléphoner est aussi naturel qu’écrire un email, une lettre ou un texto. J’ai saisi mon téléphone et j’ai composé le premier numéro.
Sur le bénévolat à distance:
Sandage, E. (2020). Volunteering during the coronavirus pandemic. The Volunteer Management Report, 25(7), 2.
Horstmann, A. C., Winter, S., Rösner, L., & Krämer, N. C. (2018). SOS on my phone: An analysis of motives and incentives for participation in smartphone‐based volunteering. Journal of Contingencies and Crisis Management, 26(1), 193-199.