Mettre la communication au cœur du secteur à but non lucratif

Un résumé de l’article « Developing a communicative theory of the nonprofit » (2012).

La plupart des travaux actuels sur le secteur à but non lucratif sont dominés par la discipline économique. On y analyse, notamment, les raisons pour lesquelles un organisme à but non lucratif (OBNL) existe et comment celui-ci fonctionne dans une économie de marché.

Or, les chercheurs qui observent les modes d’organisations auraient tout avantage à adopter une « perspective communicationnelle » dans leurs travaux et leurs constructions théoriques concernant le secteur à but non lucratif. Cela implique de placer la communication au fondement des recherches sur les OBNL, explique le chercheur Matthew A. Koschmann dans son article « Developing a communicative theory of the nonprofit », publié en 2012.

Les chercheurs auraient grand intérêt à adopter ce point de vue, car plusieurs aspects clés du secteur à but non lucratif sont intrinsèquement communicationnels : le capital social, la mission, la gouvernance, les relations avec et entre les bénévoles, etc.

Déployer une nouvelle approche

Ce nouveau regard, soutient l’auteur, considérerait la communication comme un mode d’explication distinct et améliorerait notre compréhension de divers phénomènes et enjeux du secteur à but non lucratif.

En plus d’étudier la communication dans les OBNL, Koschmann suggère qu’il faudrait aussi développer des théories communicationnelles des OBNL eux-mêmes. Si le premier énoncé évoque la communication des bénévoles entre eux, le deuxième, lui, cherche plutôt à développer des théories sur l’organisation du bénévolat : c’est-à-dire, comment le bénévolat se maintient dans la communication, entre autres exemples.

Utiliser ce regard communicationnel, actuellement sous-développé, soutient l’auteur, pourrait contourner les pièges de la science économique. En effet, cette dernière est trop souvent dépendante de concepts comme le marché, la compétition ou l’offre de biens et services. Ses théories déforment la réalité des OBNL pour les conformer à la science économique. En fait, les théories de l’économie nous en disent plus sur ce que les OBNL ne sont pas que sur ce qu’ils sont vraiment. Sans pour autant condamner les théories à saveur économique, Koschmann affirme qu’une diversification des approches est nécessaire pour comprendre les enjeux aussi complexes que ceux du secteur à but non lucratif.

L’expérience vécue

Un des grands-angles morts de la théorie économique est l’expérience vécue. Une approche communicationnelle du secteur à but non lucratif devrait remplir cet espace en s’intéressant à l’aspect phénoménologique des OBNL, c’est-à-dire à la réalité et au quotidien des individus. En effet, notre expérience des OBNL est en majorité constituée de notions telles : le social, l’interaction, les relations, la construction de sens – bref, de notion de nature essentiellement communicationnelle.

Les futures théories devraient prendre en compte les phénomènes du monde vécu du secteur à but non lucratif comme : la spatialité, la corporéité (ce qui relève du corps), la communauté et la temporalité. Pourquoi ces quatre thèmes ? Parce qu’ils définissent nos expériences vécues et façonnent nos représentations et nos interprétations de la réalité sociale.

Au lieu d’accepter les présupposés économiques comme la notion de marché ou celles des biens et services, les chercheurs devraient considérer la catégorie « à but non lucratif » comme une construction sociale qui est renforcée, ou non, par des modes (patterns) de communication. On ne peut pas tenir pour acquis le fait qu’une organisation soit à but non lucratif simplement en regardant dans son code de procédure ; il faut examiner ce qu’est concrètement faire partie de cette dite organisation en tant qu’employés, bénévoles, clients ou donateurs.

Il faut analyser les expériences engendrées par les activités d’un OBNL de son intérieur, et trouver les modes de communication qui en régissent l’organisation. Si la culture à but non lucratif impose parfois un certain éthos de vie qui évoque une façon particulière de se comporter socialement (être plus altruiste), il faut maintenant découvrir comment ces qualités ou défauts existentiels sont créés et reproduits dans l’interaction et la communication. Pour ce faire, utiliser une perspective communicationnelle ; laquelle pourrait même régler des problèmes. En effet, certaines études ont déjà démonté que la sous-performance d’un organisme ou d’un réseau ne relevait pas d’un problème économique, mais bien d’un problème communicationnel (Tompkins, 2009).

Langage et processus

En plus d’analyser les expériences vécues, les chercheurs auraient tout avantage à examiner les constructions discursives et les expressions langagières qui façonnent notre compréhension des OBNL.

En effet, des termes comme « à but non lucratif », « bénévole », « confessionnel » (faith-based) ou « mission » permettent des actions symboliques au sein de communautés discursives spécifiques. De même, ils font appel à des réalités sociales qui permettent et contraignent l’activité organisationnelle. Plus simplement, l’utilisation d’un certain langage peut générer des types de relations sociales, participer à la (re)production de classes identitaires ou stimuler un engagement social. Les théories communicationnelles devraient examiner comment le langage et le discours créent ces phénomènes.

Un dernier principe pour guider une théorisation communicationnelle implique la constitution de « formes organisationnelles ». Les chercheurs en communication organisationnelle, et surtout ceux gravitant autour de l’approche CCO (communication constitutive des organisations), considèrent les formes organisationnelles comme n’étant pas figées. Elles sont plutôt comprises comme des systèmes sociaux complexes de coordination et de contrôle, qui naissent et existent dans la pratique communicationnelle.

Suivant cette idée, les organisations à but non lucratif et le secteur dans son ensemble pourraient se voir théoriser au travers leurs pratiques textuelles et conversationnelles. On pourrait alors montrer comment l’interaction locale contient les germes constitutifs de l’organisation, et comment l’émergence de systèmes supérieurs permet et contraint l’action collective.

En somme, les futures théories communicationnelles concernant le secteur à but non lucratif devraient se concentrer sur trois aspects : l’expérience vécue, le langage/discours et la communication constitutive. Suivant ce plan de match, le domaine de la communication pourrait avantageusement développer un mode d’explication unique, et de ce fait, contribuer efficacement et de façon innovante à la recherche interdisciplinaire.

Référence complète :

Koschmann, M. A. (2012). Developing a communicative theory of the nonprofit. Management Communication Quarterly26(1), 139-146.

Bibliographie :

Tompkins, P. K. (2009). Who is my neighbor? Boulder, CO: Paradigm.

 

Un texte de Samuel Lamoureux