Les bénévoles peuvent-ils souffrir au travail ?

Au mois de mars 2021, nous organiserons un midi-conférence sur le thème bénévolat et santé mentale. Pour en quelque sorte introduire ce thème sensible, nous vous proposons ici de revenir sur un article classique en psychologie du travail qui s’intitule: « Travail, souffrance et subjectivité » de Christophe Dejours.

Pour Dejours, le travail sous le néolibéralisme, c’est-à-dire depuis les années 1980, est de plus en plus considéré comme une expérience de souffrance. La question pour nous est la suivante: les défis repérés par l’auteur peuvent-il s’appliquer au monde du bénévolat ?

Commençons par la définition du travail proposée par le psychologue. Pour l’auteur, le travail, c’est avant tout le fait de travailler: c’est des gestes, des savoir-faire, un engagement du corps, la capacité de réfléchir, de réagir à des situations, de sentir, de penser, d’inventer, etc. Le travail n’est pas qu’un rapport salarial, il ne se définit pas par le fait qu’on reçoit un salaire ou non, il se définit par le fait de « travailler », en d’autres mots, c’est un mode d’engagement du corps et de l’esprit. En ces termes, le bénévolat est sans contredit du travail. On peut donc inévitablement en souffrir.

Pour l’auteur, la souffrance au travail provient avant tout de la différence, ou du moins du décalage, entre travail prescrit et travail réel. Le travail prescrit est ce que nous devons faire sur papier, ce que le travail serait censé être. Le travail réel est ce que nous faisons réellement sur le lieu de travail. Or, le travail, comme le dit l’auteur, est ponctué d’événements inattendus, de pannes, d’anomalies, d’imprévus. C’est ce qui cause le décalage. Pour les bénévoles, cette tension entre travail prescrit et réel peut être importante. Pensons aux passionnés qui s’investissent pour une cause mais qui se retrouve dans des tâches subalternes. Cette étude récente est un bon exemple.

Deux autres causes importantes sont à la source de la montée de la souffrance au travail au 21e siècle pour l’auteur, deux causes associées étroitement au néolibéralisme. La première cause est le recours systématique à l’évaluation quantitative et objective du travail. Les nouveaux gestionnaires pensent parfois que toutes les tâches doivent être évaluées. Ces évaluations sont parfois vécues comme des moyens de domination. Dans le cas du bénévolat, ces tendances sont très certainement présentes avec la professionnalisation des pratiques bénévoles.

Un autre facteur est l’individualisation et l’appel à la concurrence généralisée entre travailleurs et travailleuses. L’évaluation individualisée des performance ou certains types d’engagement formalisés sont des pratiques mentionnées par l’auteur. On pourrait croire que cette tendance affecte moins le bénévolat qui est avant tout un don de soi libre. Or, nous savons que des organismes cherchent parfois à recruter avant tout des « bénévoles professionnels » qui sont déjà expert d’un certain domaine. L’exemple des supers bénévoles dans notre étude sur la Société canadienne du cancer en offre un exemple.

Bref, les réflexions de Dejours sont encore d’actualité pour penser la souffrance au travail des bénévoles aujourd’hui, des expériences qui peuvent mener vers le surmenage ou la dépression. Quand on pense à ces questions, il est d’abord et avant tout impératif de définir le bénévolat comme une façon de travailler, et non pas comme un don de soi dépourvu de contraintes ou de déceptions.

Référence complète:

Dejours, C. (2000). Travail, souffrance et subjectivité. Sociologie du travail, 2(42), 329-340.